Les seigneurs de la nuit, d'Eric Gali
La collection Signe de Piste est riche de la diversité de ses thèmes. Ici Les seigneurs de la nuit nous offrent un joli conte, au demeurant fort exigeant, qui s’inscrit dans la continuité des romans de la Table Ronde et se situe dans un contexte douloureux, celui de la débâcle qui se produisit parmi les croisés quand mourut le roi Saint Louis.
C’est une sorte de «road movie», un voyage initiatique aussi, qui conduit le héros d’est en ouest et plus précisément de la Franche-Comté (tiens, tiens !) jusqu’aux rivages de la Bretagne où l’on découvrira « le château aventureux » vers lequel il marchait. Le lecteur y suit ainsi Renaud qui a quinze ans, bataillant au début dans le château de son père, autrement dit le seigneur d’Apremont, en compagnie d’enfants de son âge. Or ce petit monde est en train d’apprendre absolument tout ce qu’il faut pour pouvoir être adoubé chevalier.
Cependant, Renaud va se voir appelé par un faucon noir et le suivra tout le long de son cheminement. (On sent, à ce propos, que l’auteur est un passionné de fauconnerie. Celui-ci fait montre d’une vaste érudition sur ce sujet).
Pour en venir au texte lui-même, il est construit d’une manière originale. Un découpage en trois parties de quelques chapitres, et ceux-ci sont composés de courts tableaux correspondant plus ou moins à la longueur d’une page. Or, cela fait pratiquement le même effet qu’un diaporama. Ce mode de déroulement permet à ceux des lecteurs qui ne sont pas encore très à l’aise avec la lecture (il y en a beaucoup de nos jours) de s’arrêter à tout moment pour se reposer un peu, changer d’activité, se désaltérer, etc.
Tout cela est plutôt bien écrit. L’intrigue et de plus en plus prenante à mesure que l’on avance, et surtout que l’on approche de la fin. Juste deux bémols à signaler ! Compte tenu de changements de temps plus ou moins inappropriés d’un « tableau » à l’autre (surtout dans le premier tiers du livre) où l’on passe du présent à l’imparfait sans raison logique, on peut en ressentir une certaine gêne. En outre, l’auteur a aimé qualifier de nombreuses fois son héros d’enfançon bien que cela ne s’applique qu’à des enfants en bas âge. À quinze ans, cela aurait été plus approprié d’utiliser le terme de damoiseau, mieux de jouvenceau.
Pour conclure, il reste à évoquer le vrai sujet de ce roman. C’est en fait son sujet sous-jacent. Les seigneurs de la nuit, sont en réalité les acteurs de la partie sombre existant dans l’humanité, cet univers des ténèbres que va devoir affronter chaque enfant dès son adolescence. Or il s’agit d’un sujet ô combien d’actualité de nos jours. Peu sont ceux qui, gardant le cœur pur et s’étant spirituellement armés, trouveront en eux la capacité de parvenir au terme de la grande épreuve en ayant conservé tout leur honneur de chevalier.
Éric Gali est le pseudonyme de François Sauvegrin, un ancien chef scout. Celui-ci naquit dans le début des fifties. Il est décédé vers 1995. Il avait la réputation d’avoir une grande érudition. En compagnie de l’un de ses amis, il a créé une maison d’édition qui permit de rééditer l’ouvrage Raiders Scouts de Michel Menu.
Ayant quitté Paris pour s’installer à Bures les Templiers – entre Troyes et Dijon – où se trouve une ancienne commanderie, il s’y est passionné pour les ordres de chevalerie avec un camarade, au point de se lancer vers ce que l’on appelle aujourd’hui « association de reconstituteurs ». Son roman s’inscrit probablement en parallèle de ce projet.
Les seigneurs de la nuit a été réédité en 2019 aux éditions Delahaye.
Bruno Robert
Les seigneurs de la nuit
Eric Gali, ill. de Pierre Joubert
Collection Signe de Piste, 1974, réed. 2019